Une Usinette tient à la fois du fablab et du hackerspace.
Une Usinette n’est ni un atelier « clé en main », ni une petite usine franchisée qui proposerait systématiquement les mêmes machines. l’approche privilégiée est plutôt de mettre tout en œuvre pour permettre son évolution en fonction de besoins spécifiques locaux et s’appuyant autant que faire se peut sur des ressources (humaines, matières premières secondaires) disponibles à proximité. Dans une Usinette, adhérents et utilisateurs s’impliquent pleinement dans le processus de production et transcendent ainsi leur statut de consommateur et travailleur. Libre à eux d’imaginer, de concevoir, de prototyper, d’améliorer pratiquement n’importe quel type d’objet ou service ; voire même de le choisir parmis un catalogue de « biens-communs » qu’ils pourront être amenés à compléter en proposant de nouveaux usages, des améliorations, des documentations. C’est un lieu de production et de partage de connaissance qu’une plateforme internet concourt à faciliter. Les objets, les machines et les modes opératoires sont protégés sous licence libre (par exemple GPL ou Creative-Commons). Ce cadre juridique est nécessaire à l’exercice de cette liberté qui est la condition de la transformation, de l’évolution et de l’innovation de ce processus socio-technique.
Le rapport à l’objet produit, à la décision de consommation devient alors un acte réfléchi et repose principalement sur sa valeur d’usage. La production de ce dernier devient du même coup un acte créatif, émancipateur, reposant sur des besoins préalablement identifiés. L’un des axes majeur du projet est de proposer des outils abordables financièrement et techniquement. Dans ce but, l’usage de machine open-source est une priorité. Pour des raisons similaires, l’approche auto-réplicante selon le modèle de « Constructeur Universel » de John von Neumann est privilégiée. A la manière de la RepRap, une machine auto-réplicante peut générer plus de la moitié de ses composants. Une machine peut donc produire elle-même ses propres pièces de rechange voire fabriquer sa réplique sous forme de kit à assembler. Dans un futur proche, on peut donc raisonnablement penser que plusieurs Usinettes soient en mesure se fournir entre elles. L’émergence de ces laboratoires de fabrication représente une opportunité importante de changement social, tout en rejoignant les préoccupations écologiques. Par leurs dimensions réduites, et leurs coûts relativement modeste, ils sont une solution à la déconnexion entre les lieux de production et de consommation et offre une occasion inespéré de reconnecter la fabrication d’objets courant aux propres ressources du territoire en produisant des circuits-courts. L’un des enjeux centraux du projet Usinette est la fabrication d’objets à partir de matière première secondaire issues des déchets (plastique notamment).
Contexte technique
Primitivement, un outil peut être vu comme le produit d’expériences, de tâtonnements, d’intelligences pratiques qui résultent de la confrontation de l’homme à un besoin ou à un désir de parvenir à une certaine fin. C’est tardivement que la notion de « technique » apparaît, au moment où l’homme se heurte à des difficultés nouvelles et qu’il devient nécessaire pour atteindre ses buts d’établir des règles de fabrications communes.
Avant l’époque moderne, la « technique de production » restait artisanale, pour la production des objets Mais à partir du XVII siècle, un nouveau modèle apparaît : la technique industrielle avec comme figure de proue, la machine, intermédiaire entre l’objet fabriqué et l’individu qui le produit ; elle lui confisque au passage une part de son autonomie. Concomitamment à cette évolution, les règles qui régissaient jusque là la fabrication, s’étendent aussi à l’usage. L’utilisateur est né.
Les objets technologiques que cet utilisateur se met à consommer, lui suggèrent un usage défini. Pour aller vite, disons que cette « hyperfonctionnalité technologique » se met à faire système "de pensée et d’action" (Cf. J.Baudrillard, in « Le Système des Objets »). Ces objets technologiques visent à déconnecter la personne de son besoin en lui dictant une fin. Cette perte d’autonomie crée une frustration qui est à la source de l’ambivalence de notre rapport à la technique. Elle n’est plus une source de “production de soi”, mais de “lissage de soi”. Dans un même temps, une nouvelle forme d’organisation de la production apparaît et vient renforcer cette déconnexion par l’homogénéisation des produits et la parcellisation du travail.
Le mythe du progrès, nous le savons, est une lecture des évolutions techno-logiques déconnectées de la personne. Nous la subissons parce qu’elle opère sur une temporalité qui nous échappe et le marketing l’exploite pour mieux inciter à une consommation effrénée, proposant un miroir inversé « le principe d’obsolescence ». C’est cette course après ce « faux semblant » des temps présents qui épuise individu et environnement.
Vers la fin du XXème apparaît le logiciel libre et plus globalement les nouvelles pratiques liées au partage de la connaissance. En érigeant en bien-commun, les savoirs et savoirs faire, et en constituant conjointement les espaces et les règles de contributions, ces nouvelles pratiques réhabilitent la personne comme origine et fin de la technique et de l’économie.
Si nous observons aujourd’hui, un effondrement de l’implication personnel dans les enjeux collectifs, le mouvement inverse tend également à s’affirmer. De nouvelles pratiques émergent et insufflent une énergie inédite à bien des endroits de nos organisations. Nous sommes à la frontière entre ces deux mondes, l’un qui se débat pour survivre, l’autre s’efforçant d’exprimer son désir d’expérimenter par sa recherche d’espaces "conviviaux" (Cf. la pensée d’Ivan Illich) pour favoriser l’apparition de nouveaux comportements socio-économiques, écologiques et culturels.
mercredi 3 novembre 2010, par