Suite à une invitation de Alex Haché, nous avons participé au dossier La Souveraineté technologique et plus particulièrement en écrivant l’article DIY, makers, fablabs : A la recherche de l’autonomie lisible en dessous.
Voici le sommaire :
Pré-requis
- Logiciel libre
- Internet libre
- Hardware libre
- Serveurs autonomes
Terrain d’expérimentation
- Moteurs de recherche
- Bibliothèques publiques digitales
- Réseaux sociaux décentralisés
- Contournement
- Cryptomonnaies
- Exploration spatiale
Espaces pour l’expérimentation
- Hacklabs
- Fablabs
- Biolabs
Quelques participants au dossier : Patrice Riemens, Richard Matthew Stallman, Benjamin Cadon, Elleflane, Tatiana de la O, Karlessi, Ippolita, Marcell Mars, Hellekin, Julie Gommes, Jorge Timon, Marta G. Franco, Maxigas, Ursula Gastfall,
Thomas Fourmond, Paula Pin, Margarita Padilla, Erika, Justine, Javier de Rivera, Antonio, WaiWai, Lilith, Michael, Tripta, Ank.
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DIY, makers, fablabs : A la recherche de l’autonomie
Ursula Gastfall & Thomas Fourmond - Usinette - 2014 - CC
Le maker est une sorte de bricoleur du 21e siècle. Il fait un usage important du réseau internet comme lieu de diffusion de connaissances, de collaborations et de communications. Il accède à des outils complexes à bas-coût autrefois réservés aux entreprises de pointe. La créativité, la bidouille, la fabrication d’objets par soi-même (DIY - Do It Yourself), et l’expérimentation, sont pour lui autant de moyens d’agir sur le monde et sur sa vie. Il revendique le droit de comprendre et d’intervenir techniquement sur les choses qu’il utilise quotidiennement comme condition de sa liberté.
Il évolue notamment dans des lieux appelés “Fablab” -laboratoire de fabrication- qui lui fournissent tous les moyens pour se déployer : moyen de production, de documentation, de collaboration ou de rencontres. Les makers se réunissent également dans d’autres lieux : les “Techshops”, les “hackerspaces”, les “hacklabs”. Ceux-ci se distinguant principalement par l’accentuation ou la défense de l’un ou l’autre des traits de la culture hacker dont leur pratique est notamment issue. Dans notre société technicienne, le maker fait office de héros moderne . De par leur aisance à appréhender le monde technique qui les entoure et la puissance d’agir que cela leur confère, il suscite l’admiration. Encourageant et bienveillant deprime abord, le slogan de Dale Dougherty, fondateur de la revue Make : “We are all makers” -Nous sommes tous des faiseurs- rappelle désormais la nécessité de comprendre et développer ses capacités à intervenir techniquement sur les objets qui l’entourent pour toute personne désirant acquérir une certaine autonomie. Néanmoins, cette remise en question de la légitimité et des rôles des intermédiaires cristallisent des désirs souvent antagonistes. Principalement lorsqu’on examine avec plus de précisions la question des ressources cognitives, sociales ou physiques rendant ces pratiques possibles ou au prisme d’une pensée sociale plus circonscrite.
I. Aux origines
Le bricoleur comme ancêtre toujours actif du Maker
Le Maker tire en grande partie ses origines d’une figure familière, celle du bricoleur. Il s’agit de cet amateur, que nous sommes ou que nous côtoyons, un voisin, un ami, doté d’un savoir-faire technique et doué d’une grande dextérité. Il fabrique des objets, monte des structures, répare les éléments de son quotidien pendant ses loisirs. Insatiable et persévérant, il s’affaire toujours à un nouveau chantier et passe le moindre de « son temps libre » à améliorer et à façonner son environnement personnel ou celui de ses proches. Son moteur principal est la passion. Ce bricoleur toujours en action, n’agit pas sous la contrainte mais bien par plaisir. Malgré ses talents, le bricoleur est souvent moins considéré que son alter ego professionnel : l’ingénieur, cet autre technicien à qui on prête plus d’intelligence et plus de pertinence dans l’élaboration d’un projet. Là où le bricoleur est l’agent de la sérendipité : il découvre en agissant, ré-agit et improvise selon un contexte ; l’ingénieur est le parfait stratège : il planifie, conçoit la globalité d’un problème et peut engager d’importants moyens techniques et financiers pour le résoudre. En tant que professionnel, il obéit aux normes d’une industrie et aux règles de la compétition et de la rentabilité. Au service d’une entreprise pour conquérir le monopole économique dans son domaine de production, il vise inévitablement une excellence technique. Là où le bricoleur conçoit une œuvre qui concerne un cercle réduit, l’ingénieur travaille à un projet de plus grande envergure, qui d’ailleurs dépasse largement ses seules compétences.
Outre cette « instrumentalité », les autres distinctions fondamentales sont sa temporalité et son caractére non-marchand. Inscris dans le champs des activités de loisirs ou du non-professionnel, le bricoleur peut expérimenter plus librement. Il serait peut-être exagéré de parler de l’errance du bricoleur, puisqu’il connaît distinctement ses objectifs et vise le bon fonctionnement d’un mécanisme, la forme adéquate d’un objet, mais il peut, à l’instar de l’artiste, grâce à ce “temps libéré”, investir son travail de sa subjectivité. C’est-à-dire que s’engouffre, là, dans sa pratique, quelque chose de sa pensée, de ses rythmes, de son affectivité et produit grâce à cela un agencement singulier. Cette réalisation permet un « retour à soi » qui se concrétise dans une relation sociale extérieure. L’objet ainsi investit, porte le désir de son auteur, doublé des caractères d’un contexte et de sa matérialité.
Bien que cet espace de liberté soit souvent le lieu d’une pratique solitaire, il n’exclut pourtant pas les échanges, au travers de nombreux magazines, de forums ou livres techniques, pour partager des méthodes et des expériences vécues. Le magazine, le plus connu en France, créé en 1923, reste « Système D », sous-titré : « Le journal hebdomadaire du débrouillard »
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DIY : une pratique politique et un champ de contestation, un pas de côté hors d’une société asphyxiante.
Le mouvement Arts & Crafts, « arts et artisanats », remonte aux années 1890, période faste et hégémonique de l’empire britannique. Bien avant nos bricoleurs et nos futurs Makers, bien antérieur au terme DIY, Arts &Crafts contient déjà en substance les principaux éléments de cette « culture » et s’inscrit à cet égard comme la genèse d’une pratique à laquelle s’ajoute une dimension politique explicite. Ce mouvement manifeste en effet la volonté de ne pas s’inscrire dans le déploiement industriel de cette époque glorieuse, et qui plus est, tente de s’organiser pour y échapper. Il voit d’un mauvais oeil le rapide développement des usines à charbon qui entraîne la pollution et la dégradation des paysages. Pionniers de l’écologie, en lutte pour le partage de compétences et contre la concurrence et les inégalités sociales, les artisans de Arts & Crafts souhaitent une société en accord avec la nature. Elle est la source d’inspiration de toutes leurs réalisations ; leurs tapisseries, meubles, poteries, vaisselles, abondent de motifs végétaux. En cohérence avec cette harmonie primordiale, ils s’éloignent des villes, créent des écoles et prônent des valeurs de travail où l’art est au centre d’une pratique manuelle restée en contact permanent avec la nature. Ils limitent leurs productions à des objets du quotidien de qualité, réalisés en pièces uniques ou en petites séries. De fait, la pensée d’un de ces fondateurs, Wiliam Morris, reste encore aujourd’hui une référence chez les partisans de l’économie sociale et solidaire
Le terme DIY est attribué à Jerry Rubin, co-fondateur avec Abbie Hoffman du Youth International Party
(1967-68), leader des Yippies américains, il est l’auteur d’un des livres manifestes de cette période :
" Do it ! Scenario of the revolution" publié en 1970. Les Yippies sont avant tout des activistes politiques plus radicaux et plus spectaculaires que leurs prédécesseurs. Ils défient les autorités américaines et organisent sous des formes inédites, souvent surprenantes et drôles, de nombreuses manifestations contre la guerre du Vietnam et s’opposent au racisme qui s’immisce dans les faits quotidiens. Mais les scénarios de révolution dont Jerry Rubin se fait le prophète vont rapidement s’évanouir : “Ne faites pas confiance à quelqu’un de plus de trente ans”.La phrase fétiche des Yippies, qui ne les concernait pas encore à l’époque, s’avéra prémonitoire quand la contestation radicale finit par se solder pour la plupart en une réintégration parfaite dans le système capitaliste.
Puis dans le milieu des années 70, les punks, ces fameux « pantins », comme ils se nomment, stigmatisent (particulièrement dans la scène New Yorkaise et en Angleterre) les conditions de vie aliénantes liées à l’urbanisation, au chômage, et aux mœurs pudibondes d’une société oligarchique. Do It Yourself ! devient un des slogans anti-consuméristes d’une jeunesse qui exhorte une population pétrifiée à sortir de sa léthargie. Il appelle chacun individuellement à s’autonomiser d’un système de consommation qui fixe les règles d’échanges et noie toutes formes d’alternatives. Le DIY, chez les punks, s’exprime avant tout dans la musique et leur opposition à l’industrie musicale. Les punks rejettent les formes d’élitisme, notamment la virtuosité de l’artiste. Ils sont majoritairement autodidactes, jouent dans des caves et des garages, et mettent en place leurs propres maisons de disques. Cette culture se forge aussi autour de publications auto-produites : les fameux fanzines punks, abréviation de « fanatics magazines ».
Ceux ci, réalisés avec des moyens simples et accessibles à tous (photocopieuse, agrafeuse, ciseaux, colle), tissent un réseau social et politique plus large autour de cette scène . N’étant pas soumis à des impératifs de vente, ils sont le lieu d’une parole libérée où s’expriment des revendications souvent libertaires, accompagnées d’une esthétique virulente, libre dans ses formes et dans ses formats, et qui reflète une filiation avec les Situationnistes. Ils se montrent attirés par ce qui est ordinairement rejeté, cultivent un goût de la provocation et l’usage d’un humour noir mordant, au ton caustique et décomplexé. Ainsi comme résume Sebastien Broca citant Fabien Hein dans son récent ouvrage “Utopie du logiciel libre” : « La vulgate punk consiste à affirmer qu’agir est à la portée de tous et qu’il ne tient finalement qu’à chacun de réaliser ses aspirations »
La pratique du DIY bien que constituant un des fondements de la culture Maker, ne suffit pas à caractériser toute sa complexité. Il manque l’aspect déterminant porté par le réseau et les outils informatiques.
II. Intensification et approfondissement des moyens d’échanges : les voies vers l’internet pour la création de communautés étendues
Whole Earth Catalog : un premier réseau web sur papier
The whole Earth Catalog est une revue américaine publiée entre 1968 et 1972 à l’initiative de Stewart Brand, écrivain et éditeur. Les premières éditions de ce catalogue seront suivies d’éditions plus occasionnels comme la Whole earth review et le CoEvolution Quaterly. Une de ses particularité réside dans son mode de fonctionnement. Il propose un véritable réseau de partage d’informations et de connaissances, ainsi que des moyens d’échanges multidirectionnels, puisque les lecteurs peuvent alimenter et modifier les contenus. « Access to tools » est le sous-titre, apposé comme une devise, sur la couverture du magazine. Ces “outils” désignent autant les outils physiques que les premiers outils informatiques. A cela s’ajoutent les matériaux théoriques d’une réflexion globale, axée sur les outils de communication et les problématiques environnementales mondiales. Ainsi, à la différence d’un simple catalogue de DIY, il vise des questions d’ordre globales, la prise en compte de l’ensemble des moyens nécessaires ainsi qu’une critique sur le choix des outils pour y parvenir. Par sa diffusion, il se rend accessible de manière plus universelle, au-delà d’une communauté déterminée. Il essaime d’ailleurs outre atlantique avec des éditions telles que La revue des ressources en France. Cette forme insolite initie ce que deviendra plus tard le web avec ses blogs, documentations et manuels numériques, chers aux logiciels libres. Le Whole Earth Catalog représente les prémisses des communautés virtuelles qui se concrétiseront plus tard avec The Well (The Whole Earth ‘Lectronic Link),la plus vieille communauté virtuelle encore existante. L’accomplissement du réseau : la création d’internet.
Le réseau internet est un agencement d’infrastructures informatiques et de systèmes de télécommunication. Son expérimentation débute à la fin des années 60. Il se fonde sur le déploiement progressif de terminaux intégrant les grandes universités et l’armée dans un réseau bientôt baptisé Arpanet.Son ouverture à un large public, au début des années 1990, donnera l’internet tel que nous le connaissons aujourd’hui. Outre la mise à disposition de documentation, le numérique comprime le temps et l’espace dans les moyens de communication, par exemple en permettant l’apparition de nombreux moyens de discussions comme les canaux IRC qui rendent possibles la discussion instantanée. Ils sont dédiés à un sujet, un groupe ou un projet et permettent d’obtenir un soutien immédiat de la part de ses membres ( il existe également les mailing-lists, les forums, les emails). Ces moyens permettent d’ouvrir et d’hybrider plus largement les pratiques, sa structure développe sans répit des ramifications infinies qui fait de lui “le réseau des réseaux” Une architecture et des principes de fonctionnement inspirés des logiciels libres.
Le maker est directement influencé par les principes des logiciels libres issus de la culture hacker et crée son pendant matériel : l’Open hardware. Il dispose de licences propres disposées à être appliquées au monde physique que fabrique le Maker. L’établissement de ses structures fonctionnelles et juridiques doivent en principe permettre de perpétuer ce partage et d’appliquer la viralité du réseau et les méthodes propres aux programmeurs du monde du logiciel libre aux objets physiques. Cette architecture issue du monde en ligne tend à ré-agencer un espace hors de la propriété intellectuelle et des clauses de
confidentialité imposées par les brevets (General Public License).
III. Observations sur le DIY et la pratique make
Les fablabs, espaces de déploiement de l’autonomie ?
La pratique maker est autant une manière de réaliser une chose soi-même que de réaliser une chose pour soi-même ; c’est-à-dire à la fois une démonstration de ses capacités et l’expression de sa propre autonomie : je façonne les objets donc j’agis sur le monde. L’autonomie est une forme de liberté en acte que nous pouvons exercer pour élaborer ou définir notre rapport avec tout ce qui pourrait avoir avec notre existence et la manière dont nous entendons la mener. Elle n’a rien à voir avec la mise en œuvre d’une forme d’isolement qui poserait en premier le lieu le but de se suffire à soi-même car dans ce cas on
parlerait plutôt d’autarcie. L’autonomie est une pratique d’agencement, d’élaboration de son rapport au monde et aux autres dans le but qu’ils coïncident pour former une collectivité. Ensemble complexe dont nous partageons les perspectives et dont nous reconnaissons la nécessité de certains attachements et de certaines contraintes.
Fablab signifie “fabrication laboratory” ou “laboratoire de fabrication”. Il a été institué en 2001 par Neil Gershenfeld, professeur au Center of bits and atoms du le Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 2001. Il souhaite rendre accessible la fabrication numérique et ses machines-outils au plus grand nombre. Ces “laboratoires” sont encadrés par une charte commune qui tente de régir les modalités d’usage et d’accès à ces lieux collaboratifs. Le fablab est un lieu qui donne aux makers tous les moyens pour agir. Ils sont ouverts à tous car « Nous sommes tous des Makers » et propose des outils tels :
• l’imprimante 3D pour imprimer des objets en plastique en volume.
• Machine à découpe commandé par ordinateur
• Fraiseuse numérique
• Des matières premières
• Composant électroniques, accessoires
En complément, une connexion internet et des espaces conviviaux favorisent la circulation du savoir. Des protocoles ont été élaborés afin d’encourager sa circulation libre sous des formes juridiques et techniques partageables, diffusables et modifiables (FLOSS Manuel – Licence Creative Commons – thingerverse.com). Des lieux de ce genre émerge partout dans le monde. Les discours sur l’autonomie et la qualité des réalisations partagées ont rapidement attiré des ambitions diverses et certaines fois antagonistes comme les milieux entreprenariaux et les militant anticapitaliste. Pour ces derniers, la culture maker devient un apport majeur pour réaliser leur projet politique. Même si pour eux la technique est un simple moyen contrairement à la culture maker pour qui elle est un moyen ... déterminant. Les makers semblent avoir une compréhension plus large de l’impact social des techniques. La culture du libre en est un très bon exemple. Le réseau internet est aujourd’hui un espace d’expérimentation pour la libre association, l’auto-organisation, le partage,l’institutionnalisation de nouveaux rapports sociaux autonomes et la remise en question radicale du droit de propriété... Un apport participant à élargir les perspectives de luttes et permettre de nouvelles combinaisons d’actions plus adaptées « aux formes et aux contenus qui se sont déjà développés au sein de la société actuelle ». Toutefois, l’apport de cette culture dans la construction d’une société émancipée tiendra probablement à la manière dont elle pourra organiser un prolongement de ses pratiques en dehors de l’informatique et de la médiation logicielle. Ce qui ne semble pas être tout à fait la voie choisie ... puisqu’il semble au contraire qu’elle participe à une informatisation du monde toujours plus importante.
Depuis ses débuts, la culture maker est très proche de la culture entreprenariale ; Nullement indisposé par les aspirations éthiques ou sociales des hackers ou makers, le monde de l’entreprise n’y voit aucun inconvénient puisqu’on lui sert de nouveaux marchés... L’innovation est le joli mot d’ordre donnée à tous les maker qui le veulent pour participer à la compétition économique. A ce sujet, les propos de
Nadejda Tolokonnikova sont éclairants : « le côté anti-hiérarchie du capitalisme tardif n’est qu’une publicité réussie ! (...) La logique de la normalité totalisante continue à fonctionner dans les pays qui assurent la base matérielle ce tout ce qui est créatif, mobile et nouveau dans le capitalisme tardif (...) les travailleurs de ces régions eux, n’ont le droit à aucun excentricité ».
On aurait tort d’analyser et de chercher dans le mouvement Maker un projet politique commun. En tentant cela, on ne découvrirait qu’un ensemble d’ambitions contradictoires et des confusions intellectuelles des plus surprenantes. Les maker parle de ré-appropriation des moyens de productions, de re-localisation de l’économie, de travail passion, d’écologie, de business ... de capitalisme, d’anti-capitalisme... être maker c’est avant tout être un faiseur, un agissant voire un fabricant. Et c’est aussi probablement l’une des raisons expliquant pourquoi la culture maker a une si large influence, elle n’est pas un projet de société mais un rapport actif au monde qui est à la fois individuel (DIY) et collectif (notamment dans les fablabs)
Le fablab, espace pour la création de nouveaux mondes ?
Nous ignorons tellement de la complexité des marchandises qui nous entourent que l’on peut être hâtivement tenté de baptiser DIY toute réalisation ne relevant guère plus que de l’assemblage d’un puzzle ou un meuble Ikea. Ainsi, émerge le kit, son ertsatz, son pendant marchand. Plus plaisant que le simple usage d’un bien de consommation, l’autonomie s’y confond avec l’assemblage ou la réparation, elle-même réduite à un simple remplacement de pièces. Le kit, comme sur-couche marketing, vide ainsi le DIY de sa substance.. Une fois que le mince-voile du kit est levé, même s’il est réalisé dans un fablab et se trouve issu du « libre », on découvre simplement un nouveau type de désir consumériste : une personnalisation égocentrique alliée parfois à la naïve et emphatique économie du développement durable.
Ainsi, les outils utilisés et revendiqués par les “créatifs et innovateurs” signifient souvent exactement l’inverse pour leurs producteurs. Sans aller aussi loin que l’extraction du minerai nécessaire à la fabrication des composants électroniques que l’on a du mal à imaginer auto-gérée et amusante, on peut découvrir ce que signifie la simplicité pour utilisateurs : la simplexité pour les ingénieurs ou plus précisément selon Alain Besnier “rendre les choses plus aisées à l’utilisateur, c’est nécessairement devoir les rendre plus difficile à l’ingénieur qui les invente".
Bien que les makers aient une conscience plus aigu de la dimension sociale des techniques que les bricoleurs ou les ingénieurs, on observera que dans de nombreux fablabs on privilégiera l’acquisition d’une machine très précise, même non-libre, plutôt qu’une version plus limitée techniquement mais qui serait engendrés par des rapports sociaux et environnementaux plus justes. Il semble donc peu probable que les makers puissent porter un véritable changement social. Les réalisations actuelles participent bien davantage à une réactualisation des rapports de productions et de consommation capitalistes qu’à
l’organisation d’un quelconque dépassement.
Conclusion
« [...] en réalité et en pratique, le vrai message, c’est le médium lui-même, c’est-à-dire, tout simplement, que les effets d’un médium sur l’individu ou sur la société dépendent du changement d’échelle que produit chaque nouvelle technologie, chaque prolongement de nous-mêmes, dans notre vie. »
Si le marketing maker, les journalistes et les conférenciers ne plaçaient pas en lui toutes nos aspirations à voir enfin ce monde évoluer ; nous jugerions les makers moins sévèrement. Toutefois, notre méconnaissance à l’égard des véritables ressources mobilisées pour la fabrication des marchandises que nous tenons pour essentiel nous handicape pour penser une alternative au mode de production capitaliste. Bien des choses qui nous semblent naturelles reposent en réalité sur une sur-exploitation des ressources. Il nous semble donc, que, pour remplir ces promesses, le fablab doit envisager une analyse plus radicale des technologies et du capitalisme en ne faisant pas reposer l’autonomie qu’il défend sur une domination camouflée dans des mondes apparemment invisibles.
mardi 4 novembre 2014